publié le 1 juin 2022
par Cécilia Rodriguez-Beaudoin
Après le légendaire échange non autorisé de l’accordéon contre la guitare électrique commis par mon frère, mes parents n’ont pas voulu me payer de leçons de guitare.
Alors, j’ai passé de nombreuses heures en cachette à chercher mes propres techniques et à explorer sur ma guitare d’occasion. J’écrivais beaucoup de chansons. La plupart étaient tristes et parlaient de guerre, de pollution, du manque de peace and love dans le monde et de mes problèmes d’adolescent.
Je faisais tout ça en cachette, jusqu’à ce que je rencontre ma professeure d’anglais en 8e année à l’école Saint-Louis-de-Gonzague, madame Gagnon. Elle avait une approche très différente des autres professeurs que j’avais eus pour l’enseignement de la poésie anglaise. Elle n’enseignait pas juste les Keats et les Longfellow, mais elle analysait aussi des paroles de chansons, comme celles de Simon & Garfunkel, Sound of Silence et I Am a Rock.
Chaque semaine, elle nous donnait un devoir d’écriture qu’il fallait présenter en classe et elle m’a donné l’option de présenter mes chansons originales au lieu de poèmes. Ce n’était pas facile au début. J’étais très timide, mais je me suis graduellement habitué à chanter pour mes camarades de classe et j’en suis même arrivé à anticiper avec joie ces petites performances. Ma confiance grandissait à pas de géant.
Grâce à ma confiance nouvellement acquise, à l’âge de 14 ans j’ai approché un petit café de la rue King, tout petit, à côté de ce qui est maintenant Long and McQuade. Je leur ai demandé si je pouvais jouer là. L’endroit était typique du début des années 70, avec des jeux d’échecs sur chaque table, des lava lamps, des black lights et des rideaux de perles.
Les propriétaires étaient un couple très hippie et ils m’ont embauché pour jouer là tout l’été, chaque soir de jeudi à samedi. Ce qui était vraiment spécial avec tout ça, c’est qu’ils me laissaient jouer ma propre musique. À l’époque, les bars n’embauchaient que des groupes qui faisaient des reprises.
Cet été-là, j’ai appris une leçon très importante côté affaires. J’avais négocié avec les proprios qu’ils me paieraient un pourcentage de leur profit à la fin de l’été. Imaginez ma surprise quand je suis arrivé un soir début septembre pour trouver l’endroit fermé pour de bon. Ils avaient disparu sans m’avoir payé un sou. J’ai vite compris l’importance d’avoir un contrat et de se faire payer régulièrement. Malgré tout ça, j’ai eu la chance de me perfectionner un peu en jouant tout l’été.
En 1970, j’étais un jeune étudiant à Macdonald-Cartier (Mac-Jack), la première et seule école secondaire publique française en Ontario à cette époque. L’école venait tout juste d’ouvrir ses portes au mois de janvier, après des problèmes de construction. Il y avait quinze classes de 9e année et trois élèves par casier. Les professeurs venaient de partout pour nous enseigner. On avait même le frère du chanteur Jim Corcoran, Robert (ou Corky comme on l’appelait), comme professeur de chimie.
L’école était réputée pour la qualité de son programme de théâtre sous la direction d’Hélène Gravel.
Ce n’est pas surprenant que plusieurs de mes camarades de classe soient devenus connus plus tard dans le monde du théâtre, de la télé et du cinéma, comme Robert Marinier, Linda Sorgini et Kate Mensour.
On avait souvent droit à des représentations de théâtre, dont beaucoup de créations du TNO. Les pièces avaient toujours des composantes musicales. N’oublions pas que le groupe CANO a eu sa genèse dans les pièces d’André Paiement. C’est en regardant ces pièces-là, comme Le septième jour, Les Communords et La vie et les temps de Médéric Boileau, que j’ai été initié à la musique de théâtre.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je ne suivais pas de cours de musique à Macdonald-Cartier. J’étais plutôt un nerd, j’étudiais surtout les mathématiques et les sciences et je choisissais des cours pratiques comme les ateliers de mécanique d’auto et d’architecture. Mes parents aimaient beaucoup la musique, mais ils voyaient ça comme un passe-temps et non un choix de carrière valable.
Mais en 12e et en 13e années, les choses ont changé. Mes notes ont chuté d’une moyenne de 90 % à 70 % et je suis passé de nerd à cool. Je suis devenu le chef du comité des danses de l’école. J’ai beaucoup appris sur le côté administratif du domaine de la musique à force d’embaucher des artistes. J’ai fait affaire avec des agents, rédigé des contrats, etc. J’ai aussi commencé à former des duos et des groupes pour jouer des chansons originales aux rassemblements et aux concerts d’école.
Même si j’étais de plus en plus attiré par la musique, je pensais encore suivre des cours en mathématiques ou en architecture après l’école secondaire. Mes parents étaient bien contents. Mais un jour de février 1975, quatre mois avant ma graduation, j’ai croisé par hasard un ancien de Mac-Jack, Francis Dubé. Il était maintenant étudiant au département de musique à Cambrian et il m’a dit que moi aussi je devrais y suivre des cours, que je n’avais pas besoin d’une formation classique pour m’inscrire, comme je le pensais, et qu’il suffisait de réussir l’audition.
Pour moi, ce fut un moment d’illumination, d’apprendre que mon rêve n’était pas aussi inatteignable que ce que je pensais. Tout à coup, le chemin est devenu très clair. Je me suis trouvé un professeur de guitare classique nommé Obomsawin et je me suis entraîné comme un diable, jusqu’à l’audition à Cambrian l’été suivant. Bye-bye carrière d’architecte ou de mathématicien. J’avais pris ma décision.
Je n’avais rien dit à mes parents, parce que je savais qu’ils ne seraient pas d’accord avec mes choix. Et comme je l’avais prédit, lorsqu’ils l’ont appris, ils étaient très déçus. Mais pendant qu’ils me chicanaient, mon père m’a lancé un regard secret qui disait : « Good for you. Suis tes rêves. Ne fais pas les mêmes erreurs que moi. »
Restez à l’affût pour la prochaine partie du blogue Quarante ans en musique : la carrière de Dan Bédard !
Ce blogue a été rédigé par Dan Bédard et révisé par Normand Renaud.
Dan Bédard a œuvré en tant que réalisateur / arrangeur, musicien et directeur musical auprès de plusieurs artistes, dont Michel Dallaire, Jacinthe Trudeau et Stef Paquette. Il a été directeur musical pour plusieurs éditions de « Ontario Pop », du festival « Quand ça nous chante » et de « La nuit sur l’étang ». Au mois de mai 2017, il est présenté avec le Prix hommage pour l’ensemble de son oeuvre comme réalisateur, compositeur, musicien et concepteur sonore, lors du Gala Trille Or à Ottawa mai 2017, et fût récipiendaire du Prix de contribution exceptionnelle aux arts à la Célébration du maire pour les arts à Sudbury au mois de juin 2018.